Dans le chaos, à la recherche d’une vraie lumière

Dans un monde chaque jour plus enflammé notre France joue les pyromanes.

Pour l’observateur, ordinaire ou avisé, la question est : comment a-t-on pu en arriver là ?

PETIT THEOREME

Survoler le temps long peut nous mettre sur la piste de La question. Pour ne pas se lasser d’emblée et éviter les poncifs du type : mêmes causes mêmes effets, prenons un recul de quelques générations.

Le monde change à chaque instant, il n’y a pas de relations de causes à effets transposables d’un âge à l’autre ; suivons seulement « la route de la servitude » suggérée par Friedrich Von Hayek[1] face aux innombrables complexités de la vie en société organisée.

Voici l’énoncé : on accepte que l’analyse des matrices des systèmes de gouvernement des sociétés humaines se simplifie en posant que toutes les sociétés organisées sont par nature coopératives.

On constate qu’il n’y a que deux grands « régimes », qui se distinguent entre eux par la distance à laquelle ils placent leur mode de gouvernance entre la tyrannie et l’esprit démocratique.

Cette distance est variable dans le temps et dans l’espace.

Démocratie et Tyrannie sont des « êtres » protéiformes et évolutifs ; solides liquides ou gazeux ; à températures variables : depuis la vitrification jusqu’au zéro absolu.

Malgré tout, par « gourmandise », permettez-moi de m’éloigner un instant de ce qui vient d’être écrit.

Un merveilleux auteur américain, Tom Holland[2] sur un ton littéraire oppose au cinquième siècle avant Jésus-Christ les balbutiements et la naissance de la démocratie grecque à l’efficace tyrannie Perse de Darius I.

Avec inspiration, Holland confesse se sentir investi de la mémoire de l’héritage démocratique né de la défaite héroïque des Thermopyles et des victoires décisives de Marathon, Salamine et Platée.

Oui, dans le désordre, la trahison, les intérêts personnels, les passions contradictoires, à Athènes, à la fin, c’est la démocratie qui gagne.

On aime beaucoup. Merci à lui de nous livrer une superbe source d’inspiration pour regarder notre monde contemporain et en particulier la dramatique et actuelle automutilation de la France.

RETOUR A L’ARITHMETIQUE

La chute d’un quatrième gouvernement en moins de deux ans n’est pas une péripétie ; c’est une étape supplémentaire du déclin entamé voici à peu près un siècle, lors de l’imparfait traité de Versailles, justement critiqué par Jacques Bainville et John Maynard Keynes.

Une pierre institutionnelle éprouvée, à la fois solide et flexible, une société civile épuisée par la victoire, des traits économiques et culturels foisonnants ; tout était pourtant là en 1919 pour un progrès « ordonné ».

La France, en tant qu’entité politique, aura néanmoins peiné durant cent ans à dessiner un projet de société démocratique stable, porteur, adapté aux époques.

Après un court sursaut au début de la cinquième République, le pays entama un effondrement inexorable à partir de mai 1981.

Les courbes et leurs dérivées étaient nombreuses, connues et analysées : démographie, agriculture, industrie, colonies et décolonisation ; se sont ajoutés à l’extérieur, les massacres du soviétisme, l’autodestruction de l’Allemagne et du Japon, la Shoah, le génocide Cambodgien ; et aussi Holodomor, génocides des Herero et des Tutsi, le Grand Bond en avant, la révolution culturelle, etc.

Les transhumances de la société de l’agriculture à l’industrie, puis aux services, enfin au numérique.

Autre phénomène majeur, engagé dès les années soixante, la libération complète, pas encore universelle, des derniers esclaves : les femmes. La société française et la plupart des sociétés occidentales marchaient enfin sur deux jambes de même longueur.

Je me risque à dire que l’importance et la profondeur de cette révolution n’est pas encore saisie par l’opinion, à tout le moins de manière équilibrée et totalement apaisée ; les religions portant l’essentiel de la responsabilité de l’ignorance voire du déni.

De même pour le changement climatique, élément d’une magnitude immense  pour la vie des générations futures. Observé dès le début du vingtième siècle, analysé dans ses causes et ses conséquences dès les années 70 par le Club de Rome ou le sénateur français Lafitte ou encore le Vice-président des États-Unis Al Gore (dont l’élection à la Présidence fut volée par un climatosceptique). Depuis, les mesures se sont ajoutées aux observations. Des hommes et des femmes ont imaginé des attitudes, des politiques, des actions, des pédagogies, des forums, des négociations, des Traités internationaux. Néanmoins, l’adresse individuelle de la question a peu changé voire régressé. La compréhension de ce qu’est une « discipline » énergétique individuelle reste très faible, incomprise dans ce que cela implique dans le comportement individuel. Cela, principalement du fait de l’instrumentalisation politicienne que les partis écologistes français et occidentaux font de la Question, pourtant placée au centre de leur « fonds de commerce ».

Alors que l’on savait tout du plus simple au plus complexe, comment la France a-t-elle pu en arriver là ?

Alors que le pays n’a jamais été si riche, que les Français n’ont jamais vécu si    vieux… plus qu’aucun autre pays, il rançonne les siens. Il prélève sur leur dos presque 60% de la richesse créée pour la redistribuer – non seulement très mal mais de plus en plus mal. Au point de les asphyxier par l’inefficacité de son État.

La saignée va principalement dans la bassine retraites, santé et collectivités publiques pour une dépense supérieure à 1 100 milliards. Hélas, la colossale ressource n’y suffit pas : en ajoutant des dépenses de l’État de l’ordre de 700 milliards, à la fin, il manque environ 170 milliards. Soit environ 6% de la richesse annuelle pour trouver l’équilibre, sans compter la nécessité de rembourser le principal d’une dette de 3 300 milliards !

En 45 ans, les collectivités locales ont multiplié par 11 leurs dépenses. Du côté de la protection sociale, le multiple est de 13 ; tandis que l’État, lui seul, a fait 9 fois.

Corrigé de l’augmentation de la population et de l’inflation durant la période, le multiple « normal » s’établirait à 4,5 fois.

La mauvaise gestion multiplie par un peu plus de 3 les charges qui pèsent sur les citoyens !

Face à ces implacables et effarantes additions, la classe politique est presque complètement aux abonnés absents, excepté quand elle se souvient qu’il y a des  citoyens riches, en général entrepreneurs, donc profiteurs, et perçus comme disponibles pour une spoliation supplémentaire.

Notre  État  « providence » obèse, aboulique et impotent n’en peut plus. Non      seulement il est presque complètement inefficace, mais par son avidité il casse la machine économique.

QUE FAIRE ?

Tout d’abord réduire les dépenses. Faire des économies sur tout, particulièrement sur ce qui relève de la « surprotection sociale ». Ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, réduire le pourcentage des sommes redistribuées pour être au-dessous de la moyenne de la zone Euro, donner au pays une vision stable, pluriannuelle de la politique fiscale.

Entamer la réduction de notre surendettement.

Restaurer la qualité de l’État en procédant à la réorganisation et à l’allègement de ses compétences, attirer vers la fonction publique un personnel de qualité, bien récompensé en fonction d’objectifs aux résultats mesurables.

Adopter une politique migratoire qui adresse la question de notre besoin en main d’œuvre et assure une coexistence provisoire avec des travailleurs n’ayant pas vocation à être assimilés.

Exercice indicible pour l’ensemble de la classe politique, submergé par l’inquiétude de notre société quant au sort des générations futures — moins riches que les retraités —, incapable de projeter un horizon à un État proche de la banqueroute et tout aussi incapable de donner un élan à tous, jeunes comme vieux.

Cela tandis que l’aspiration à la paresse, la prévalence de l’intérêt pour les jeux du cirque, l’agonie des croyances — de toutes natures y compris religieuses —, et la dépréciation des standards de modération à l’intérieur du corps social, sont politiquement sollicitées à droite comme à gauche, soit par coupable facilité soit dans une stratégie politique précise de recherche du chaos.

LA PENSEE POUR LE MAL 

Cette situation est d’abord la défaite de la pensée. Dans l’après-guerre, les intellectuels français et occidentaux ont majoritairement préféré avoir tort avec Sartre que raison avec Aron. Malgré les abominables erreurs du communisme, la tendance à un type de « soviétisation » du pays s’est installée à bas bruit pendant trente ans pour s’envoler, en 1981, vers un collectivisme imaginé dans les années trente. Malgré un échec cuisant et extrêmement coûteux, ce type de philosophie politique, habillé des oripeaux d’un colbertisme militant et/ou d’un keynésianisme inventé, s’est peu ou prou poursuivi jusqu’à aujourd’hui. C’est la doxa malheureusement partagée par tous les partis politiques ; particulièrement aux extrêmes.

Aucun d’entre eux n’y voit « la route de la servitude ».

L’échec de la pensée c’est l’échec de tous : des intellectuels, des entrepreneurs, du peuple souverain et d’une classe politique usée jusqu’à la corde qui montre ses insuffisances et ses faiblesses au grand jour.

Alors la déconfiture nationale est benoîtement perçue par le public comme l’échec de cette classe dirigeante autoproclamée compétente, « profiteuse » et donc haïe, désignée sur d’improbables ou d’impossibles promesses !

LE PEUPLE ET SES ELITES

Si le peuple est responsable de ses propres malheurs, il est vite innocenté par une ignorance délibérée, aggravée récemment par le monde numérique.

Alors on peut dire avec Marcel Gaucher que ceux qui avaient le rôle et les moyens de comprendre le moral, le matériel et l’institutionnel, ont failli et fait la triste démonstration qu’à l’échelle d’une génération les questions qui vont se poser à toute société sont prévisibles tant sur le plan matériel qu’institutionnel, le devoir de l’élite étant d’en faire partager l’énoncé et les analyses des conséquences des politiques proposées.

Les élites ainsi ont trahi puis déserté.

Il était possible d’anticiper les conséquences des impasses de la démographie, des complexités de la construction européenne ; d’appréhender les risques pour l’Europe de l’effondrement de l’Union soviétique et du retour au premier plan d’une Chine expansionniste. Tout comme étaient prévisibles l’effondrement des sociétés africaines et sud-américaines, l’acculturation de la puissance dominante et ses conséquences pour ses alliés. On devait aussi anticiper les pertes de repères individuels engendrés par les évolutions du mode de vie consumériste — comme le développement de toutes les consommations de drogues et psychotropes —, ainsi que la dépréciation de la morale et de l’intérêt Public.

Jusqu’à ce jour, nos cinq derniers Présidents de la République ont tous préféré par manque de courage « masser » la comptabilité publique, anesthésier l’opinion avec des promesses intenables, ou faire semblant par des manœuvres pleutres de consulter le peuple sur des questions qui le dépassaient, et finir en piétinant les réponses à des questions complexes volontairement mal posées[3].

Pourquoi ajouter le mépris à des trahisons évitables par courage et honnêteté intellectuelle ?

CURER

Les antidotes à nos maux sont dans la connaissance, la réflexion et le courage.

Pour sortir du mal, naturellement il va falloir souffrir. Mais à quoi bon souffrir pour payer les dettes contractées par vos parents si c’est pour vivre plus mal ? Tout comme : à quoi bon se défendre ? Après tout, les Russes n’ont pas l’air plus à la peine que nous à Moscou, Saint-Pétersbourg, Saint-Tropez ou Dubaï ?

Une indispensable politique d’économies ne fonctionnera que si elle est en mesure de donner des horizons collectifs et des espoirs individuels à la plupart des Français.

Tout peuple a besoin d’être clairement gouverné.

Javier Milei a été élu sur un espoir de « lumière » à trente ans !  Surprise démocratique !

L’expérience que mène l’Argentine est une désagréable dernière chance. Probablement gâchée par les vieux démons de la corruption qui soufflent à nouveau à Buenos Aires. On doit espérer que les erreurs de Don Javier et Dona Karina ne feront pas le lit d’un totalitarisme péroniste de gauche ou pire encore celui d’une dictature militaire dirigée par des « moines-soldats » alcooliques. Auront-ils enterré toute velléité de construire un État frugal et modeste ?

En petit résumé, le Peuple français veut :

  • Évacuer la violence de l’espace public ;
  • Accéder à une Instruction Publique de qualité permettant la mise en valeur de tous les talents ;
  • Une gestion déflationniste, « à la japonaise », de la régression de notre population.

Il n’est pas sûr qu’il imagine cela possible, coordonné avec le nécessaire repli massif de l’État vers ses tâches régaliennes.

Pourtant, pour reprendre le chemin de Hayek, si l’État ne revient pas à ses fondamentaux c’est un monde Orwellien qui prendra la main et organisera notre servitude.

MOMENTUM ?

C’est la seule question sans réponse rationnelle.

Difficile, alors que le monde est en feu.

Notre pays désuni, notre mère Europe pleutre, désarmée et assiégée. Haïs et méprisés par le reste du monde, sommes-nous comme Diogène écartant Alexandre, partis à la recherche d’un vrai Homme ?

Comme on le disait à l’époque du Brexit « the clock is ticking » ; le pays ne peut plus attendre, procrastiner peut nous faire perdre le peu de marges de manœuvre qu’il nous reste.

Nous nous rapprochons de la fin de « la route de la servitude », il faut faire demi-tour.

Au moins, sachons dire que la naïveté et le mensonge en politique sont nourris et se nourrissent de l’ignorance et de la peur.

Que les États totalitaires se construisent sur des rêves de félicité.

Que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Pierre Brousse

 

1. TOM HOLLAND : LE FEU PERSAN, PARIS 2025
2. Friedrich Von Hayek : La route de la Servitude, Londres 1944
3. Pascal PerRi : Ces Présidents qui nous ont fait tant de mal, PARIS 2025